Avec seulement 1 % de différence, les génomes codant pour les protéines de l'humain et du chimpanzé sont remarquablement similaires. Comprendre les caractéristiques biologiques qui font de nous des êtres humains fait partie d'un domaine de recherche fascinant et très controversé. Des chercheurs du SIB et de l'Université de Lausanne ont développé une nouvelle approche permettant, pour la première fois, d'identifier des changements adaptatifs spécifiques à l'être humain dans la manière dont les gènes sont régulés dans le cerveau. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives dans l'étude de l'évolution humaine, de la biologie du développement et des neurosciences. L'article est publié dans Science Advances.
Sélection positive : un indice de la pertinence fonctionnelle d'une mutation
La plupart des mutations génétiques aléatoires ne sont ni bénéfiques ni néfastes pour un organisme : elles s'accumulent à un rythme constant qui reflète le temps écoulé depuis que deux espèces vivantes ont eu un ancêtre commun. En revanche, une accélération de ce rythme dans une partie particulière du génome peut refléter une sélection positive d'une mutation qui aide un organisme à survivre et à se reproduire, ce qui rend la mutation plus susceptible d'être transmise aux générations futures. Les éléments régulateurs des gènes ne comptent souvent que quelques nucléotides, ce qui rend l'estimation de leur taux d'accélération particulièrement difficile d'un point de vue statistique.
Expression génétique, et non séquence génétique
Pour expliquer ce qui distingue les humains de leurs cousins singes, les chercheurs ont longtemps émis l'hypothèse que ce n'était pas tant la séquence d'ADN que la régulation des gènes (c'est-à-dire quand, où et avec quelle intensité le gène s'exprime) qui jouait un rôle clé. Cependant, identifier précisément les éléments régulateurs qui agissent comme des « variateurs de gènes » et font l'objet d'une sélection positive est une tâche difficile qui a jusqu'à présent échappé aux chercheurs (voir encadré).
Marc Robinson-Rechavi, chef de groupe au SIB et coauteur de l'étude, explique : « Pour répondre à ces questions passionnantes, il faut être capable d'identifier les parties du génome qui ont subi une sélection dite « positive » [voir encadré]. La réponse à cette question est très intéressante pour aborder les questions évolutives, mais elle pourrait également, à terme, aider la recherche biomédicale en offrant une vision mécanistique du fonctionnement des gènes. »
Une grande partie des éléments régulateurs du cerveau humain ont fait l'objet d'une sélection positive
Des chercheurs du SIB et de l'Université de Lausanne ont développé une nouvelle méthode qui leur a permis d'identifier un large ensemble de régions régulatrices des gènes dans le cerveau, sélectionnées tout au long de l'évolution humaine. Jialin Liu, chercheur postdoctoral et auteur principal de l'étude, explique : « Nous montrons pour la première fois que le cerveau humain a connu un niveau de sélection positive particulièrement élevé, par rapport à l'estomac ou au cœur, par exemple. C'est passionnant, car nous disposons désormais d'un moyen d'identifier les régions génomiques qui ont pu contribuer à l'évolution de nos capacités cognitives ! »
Pour parvenir à leurs conclusions, les deux chercheurs ont combiné des modèles d'apprentissage automatique avec des données expérimentales sur la force avec laquelle les protéines impliquées dans la régulation génétique se lient à leurs séquences régulatrices dans différents tissus, puis ont effectué des comparaisons évolutives entre l'homme, le chimpanzé et le gorille. « Nous savons désormais quelles sont les régions sélectionnées positivement qui contrôlent l'expression génétique dans le cerveau humain. Et plus nous en apprendrons sur les gènes qu'elles contrôlent, plus notre compréhension de la cognition et de l'évolution sera complète, et plus nous aurons de possibilités d'agir sur cette compréhension », conclut Marc Robinson-Rechavi.
Reference(s)
Jialin Liu et Marc Robinson-Rechavi, « Robust inference of positive selection on regulatory sequences in the human brain » (Inférence robuste de la sélection positive sur les séqu ences régulatrices dans le cerveau humain), Science Advances, 2020.